Bruno Koné a-t-il été la victime ou le complice dans l’attribution d’une parcelle de terrain d’une superficie de plus de 6000 hectares (6154 ha) dans la sous-préfecture d’Anyama, au profit d’un opérateur économique ?
Par arrêté n°19-00005/MCLU/DGUF/DU/DPUF, du 25 juillet 2019, portant constitution d’une réserve foncière, le ministre de la Construction, du logement et de l’urbanisme cède à SOPHIA S.A, une superficie de sept mille deux cents seize hectares, cent quatre-vingt-huit (88) ares, quatre-vingt-dix (90) centiares située dans la Zone d’Aménagement Différé (ZAD), à Anyama.
Cette décision ignore les résultats de l’enquête publique de commodo et d’incommodo (sur le libellé susmentionné) qui s’est déroulée du 16 avril au 15 mai 2019 inclus.
Le rapport d’enquête définitif établit le 05 août 2019, à la suite d’une rencontre présidée par le sous-préfet d’Anyama, à laquelle ont pris part les membres de la commission mixte d’attribution indique que ; 249 oppositions ont été enregistrées. Elles émanant « des chefs de village d’Ebimpé et d’Akoupé-Zeudji, du vice-gouverneur du district d’Abidjan, des aménageurs fonciers SIGI-CI, BETELCO, TERRE IVOIRE, de la Mutuelle des agents du conseil constitutionnel, du collectif des détenteurs de terrains de la zone de Malbert, Agoussi, Gabrieldougou, Ebimpé, des chefs et les nanans des générations dougbo des deux villages. » Ndlr : Le chef de village d’Akoupé-Zeudji a par suite levé son opposition.
Précipitation ministérielle
Qu’est-ce qui peut bien expliquer la précipitation avec laquelle le ministre Bruno Koné s’est empressé de signer un arrêté d’attribution de la parcelle désormais querellée, sans attendre les résultats de l’enquête en cours ? Cet arrêté est-il conforme aux usages en la matière ?
Maitre Kaba Mohamed, l’avocat du collectif des chefs de village ne voit qu’une raison à l’empressement du ministre. « (…) La situation que vivent les villages et populations d’Anyama et de Brofodoumé ne relève même pas du droit. Parce qu’il apparait clairement qu’on a voulu créer et imposer une situation en violation mais sans aucun égard pour le droit. C’est comme si on était dans une jungle où il n’y pas de textes, il n’y pas de lois et on crée une situation qu’on veut imposer à des populations (…). » Avance-t-il.
En clair, il s’agit d’une manœuvre qui tranche avec l’orthodoxie administrative. Selon l’avocat, une lettre adressée par le collectif des chefs de village au ministre l’informant des risques de cette situation est, jusque-là, demeurée sans suite. Ce qui justifie le recours administratif préalable introduit devant le conseil d’Etat pour le compte dudit collectif par son conseil.
Colère et indignation
Du côté des communautés villageoises et ayants-droit légitimes, la colère le dispute à l’indignation. On éprouve du mal à comprendre l’attitude inélégante de Bruno Koné, membre du gouvernement.

« Lorsque l’Etat a voulu les terres pour l’abattoir, il a dépêché l’Agef auprès des populations d’Anyama. L’Agef a discuté avec les chefs, la population et on leur a cédé 228ha. De même lorsque l’Etat a voulu implanter la Cité Olympique sur 287ha dont 20ha à la FIF, l’Etat s’est déplacé pour venir discuter pendant des années avec les populations que nous sommes. A l’époque le Premier ministre qui est devenu aujourd’hui Vice-Président, Kablan Duncan était au-devant des négociations.» Fait remarquer Jonas Ada Doffou, porte-parole du chef de village de Ebimpé.
Il avoue être intrigué de ce que pour l’attribution de 7000 ha de terre, de surcroît à un individu, les propriétaires terriens et ayants-droit ne découvrent la décision que par voie de presse. Le gouvernement se serait-il subitement émanciper de ses bonnes manières ?
Le ministre Bruno Koné aurait-il manqué de vigilance ou a-t-il accepté volontairement d’accompagner une forfaiture ? Pourquoi n’a-t-il pas exigé le rapport d’enquête final avant signature ? Ignorait-il que la majorité des oppositions n’avait pas été levée ?
Nanan Kouachy Alfred, le président du collectif des chefs, révèle qu’en 15 années de chefferie, c’est bien la première fois que l’Etat ignore les communautés villageoises dans une telle entreprise.
Relativement à SOPHIA S.A, il lance ; « depuis que je suis à la chefferie, je n’ai jamais entendu dire que Sophia a fait tel truc. Lorsqu’il avait approché les gens ici c’était Sophia immobilier. Il n’y a pas de convention entre Sophia et nos différents villages pour aménager nos villages sur 12000ha. N’oubliez pas que dans ces 12000ha, nos villages sont à l’intérieur. Nous ne pouvons pas accepter cela. »
En ce qui concerne la remise d’un chèque de 822 millions de F CFA à Ebimpé pour le projet Akwaba City, le président du collectif des chefs affirme n’être comptable de quoi que ce soit.
« Lorsque nous avons appris que de nuit, on appelait certaines personnes pour aller prendre des billets de banque, nous avons écrit à la gendarmerie pour porter plainte contre X. Je ne suis pas comptable, on ne peut pas venir me donner 822 millions pour distribuer aux gens. On ne nous a pas donné de chèque. » Se dédouane-t-il.
La réaction de Touré Ahmed Bouah et…des questions
Touré Ahmed Bouah, président de SOPHIA S.A se prévaut pour sa part d’un accord de principe de l’Etat qui remonte à 2008, d’un arrêté de réservation de 2009 et d’un arrêté de construction définitive (ACD), obtenu sur la parcelle en 2016.
Sans lui dénier ses droits, la réaction de Touré Ahmed Bouah convoque quatres questions :
- Pourquoi, quérir un arrêté ministériel lorsqu’on détient un ACD ?
- Pourquoi l’un des démembrements de l’Etat, la sous-préfecture d’Anyama en occurrence, censée connaitre l’existence d’un titre de propriété sur une parcelle autorise-t-elle une enquête de commodo et d’incommodo en vue de l’attribution de la même parcelle au bénéficiaire dudit titre ?
- Pourquoi, le maintien des oppositions sur la parcelle n’a-t-il pas permis aux membres de la commission mixte d’attribution de donner leur avis pour l’attribution définitive de cette parcelle à la société SOPHIA S.A, le 05 août 2019 ?
- Pourquoi le propriétaire de la parcelle accepte-t-il de signer un PV qui lui dénie ses droits légaux ?
A cette date, en effet, un arrêté permettant à SOPHIA S.A de jouir de ses droits sur la parcelle querellée était signé par le premier responsable du ministère de la Construction pourtant.
Y.T
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