Compagnons politiques et de détention, les deux hommes ont tout pour être liés. Mais depuis leur libération et leurs retours respectifs en Côte d’Ivoire, ils semblent plus éloignés que jamais
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Le match– sur le papier, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont tout pour être intimement liés. Le « père », comme le surnomme Blé Goudé, et son héritier font partie du même camp politique. Lorsque le premier était au pouvoir, le second mobilisait la base. C’est ensemble qu’ils ont chuté, ensemble qu’ils se sont retrouvés inculpés pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale (CPI), ensemble qu’ils ont été acquittés en mars 2021. Ces années d’épreuves, passées dans la promiscuité du pénitencier de Scheveningen, ont de quoi lier à jamais.
‘’Tous ceux qui étaient à l’extérieur du pays ont pris contact et négocié pour faciliter leur retour. Peut-on en conclure qu’ils sont tous des traîtres ?’’
Dans les rangs du PPA-CI, le « cas » Blé Goudé dérange. Sa décision de transformer le Cojep en parti en 2015 et son refus de rejoindre le nouveau parti de Gbagbo, en octobre 2021, ont été perçus comme une trahison. Justin Koné Katinan, porte-parole du PPA-CI, avait alors expliqué que Blé Goudé était « un adversaire politique ». Ce climat tendu avait été mis en avant par Abidjan pour temporiser les discussions devant mener à son retour. Les autorités disaient craindre pour la sécurité de Blé Goudé à cause de « menaces provenant de ses anciens alliés et de son propre camp ». Les remerciements de Blé Goudé à l’égard des autorités, notamment d’Alassane Ouattara, qui a confié le dossier de son retour à son chef de cabinet, Claude Sahi Soumahoro, agacent également. Ce que ses proches jugent injuste : « C’est une démarche républicaine. Tous ceux qui étaient à l’extérieur du pays ont pris contact et négocié pour faciliter leur retour. Peut-on en conclure qu’ils sont tous des traîtres ? », s’interroge un membre du Cojep.
Concurrents
« Nous sommes certes des concurrents sur le plan politique, mais Blé Goudé n’est pas une préoccupation pour nous, explique un poids lourd du PPA-CI. Lorsque Simone est partie, les gens avaient annoncé une saignée. Ce ne fut pas le cas. » Il tranche : « Nous avons un adversaire costaud qui est le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), auquel nous allons faire face avec notre allié, le PDCI, lors des élections locales d’octobre 2023. » Autre point de tension avec le PPA-CI : l’ambition présidentielle affichée de Blé Goudé, que certains qualifient « d’héritier trop pressé », alors que Laurent Gbagbo ne semble pas prêt à passer la main. Aujourd’hui âgé de 50 ans, Blé Goudé soigne son image et se pose désormais en homme rassembleur, loin du « général de la rue » qu’il était.
Aux critiques, Blé Goudé répond être « reconnaissant » pour tout ce que Gbagbo lui a appris, mais qu’il compte aussi jouer un rôle. « Un héritage politique s’acquiert. Nous ne comptons pas nous comporter comme des héritiers cueilleurs. Tout comme Gbagbo a été leader de sa génération, Blé Goudé fera sa part », glisse Patrick Saraka. « Il a cinq ans de plus que le Laurent Gbagbo de 1990 qui combattait pour le multipartisme. Gbagbo s’est imposé comme le leader naturel de sa génération. Mais il ne peut pas être aussi celui de celle d’Affi, de celle de Blé Goudé, puis de celle d’après », ajoute-t-il. Les élections locales seront un premier vrai test électoral pour leurs deux formations politiques. Dans certaines localités, iront-elles jusqu’à se faire face ? Mais Gbagbo comme Blé Goudé semblent déjà penser plus loin : la présidentielle de 2025. Avec un handicap de taille pour le plus jeune : si Laurent Gbagbo a obtenu une grâce présidentielle en août dernier, Blé Goudé fait quant à lui toujours l’objet d’une condamnation en Côte d’Ivoire à vingt ans de prison, pour « actes de torture, homicides volontaires et viol », et à dix ans d’inéligibilité.
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